C’est une petite révolution dans le système judiciaire marocain. Après des années de tergiversations, le Conseil de gouvernement a enfin adopté le 8 juin dernier le projet de loi relatif aux peines alternatives. S’il arrive au bout du circuit législatif, le texte permettra à la fois de désengorger les prisons et de faciliter la réinsertion des personnes condamnées. En effet, ce projet de loi introduit des mesures punitives susceptibles de remplacer l’emprisonnement, dont la plus connue est le bracelet électronique.
 
Cette initiative gouvernementale bénéficie d’un large soutien dans le monde politique et la société civile. Si la pertinence de l’introduction des peines alternatives est indéniable, leur application risque d’être compliquée. C’est notamment le cas de la surveillance électronique, qui devrait mobiliser un large dispositif technique. GPS, géorepérage, capteurs de mouvement, cryptage et stockage des données… Tous ces éléments doivent être étudiés avant le déploiement final de cette mesure.
 

Territorialité des données

 
Les spécificités du marché de la surveillance électronique des prisonniers ne seront connues qu’après l’entrée en vigueur de la loi. Cependant, certaines entreprises du secteur ont d’ores et déjà exprimé leur intérêt pour la gestion du parc marocain des bracelets électroniques. D’après une source au sein du ministère de la Justice, le département a tenu une réunion avec cinq entreprises spécialisées afin de «cerner les différentes technologies proposées et déterminer les besoins spécifiques du Maroc». Selon la même source, «suite à cette réunion, un rapport technique et financier a été soumis aux autorités compétentes, en attendant l’adoption finale de la loi et la publication de l’appel d’offres».
 
Nous avons pu identifier trois des cinq entreprises présentes à cette réunion. Il s’agit de l’entreprise suisse Geosatis, de l’israélienne Elmo Tech et du groupe marocain Aba Technology. Joints par « L’Opinion », Geosatis et Aba Technology n’ont pas souhaité commenter cette information, tandis que Elmo Tech n’a pas donné suite à nos sollicitations.
 
D’après une source proche du dossier, le ministère de la Justice aurait établi comme préalable à toute candidature la territorialité des données. L’adjudicataire de ce marché devrait s’engager à héberger toutes les données relatives aux personnes sous surveillance électronique sur le sol marocain. Exit le Cloud, les serveurs devraient être installés au Maroc et obéir aux normes CNDP et au contrôle de la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information (DGSSI).

 

Les prétendants

 

Aba Technology pourrait proposer une solution 100% marocaine, notamment à travers sa filiale Nextronic spécialisée dans les objets connectés. Si le groupe marocain obtient le marché, cela sera sa première expérience dans le domaine. Quant à Geosatis, elle s’est placée depuis une vingtaine d’années comme l’un des leaders du marché, grâce à ses bracelets innovants et de qualité supérieure. D’après la fiche technique, l’outil serait robuste et simple d’utilisation.
 
L’entreprise helvétique propose également un cryptage inviolable des données et un hébergement sur le sol marocain avec un degré élevé de protection. Geosatis possède d’ailleurs un bureau de représentation au Maroc. Enfin, Elmo Tech bénéficie aussi d’une solide expérience dans le domaine. L’entreprise israélienne gérait les bracelets électroniques en France jusqu’en 2009 et a été remplacée par son concurrent français Datacet.
 

Qui va payer ?

 
La question qui reste en suspens est celle du financement d’un tel système. “Dépendant de la qualité, le prix d’un bracelet électronique pourrait aller d’une vingtaine à plusieurs milliers de dollars”, nous explique une source proche du dossier. Il faut ajouter à cela le coût de la mise en place des centres de surveillance, des serveurs, le recrutement et la formation des agents. Enfin, la taille de la population à placer sous surveillance électronique est un facteur déterminant dans l’évaluation du budget.
 
Vu l’importance de la population carcérale au Maroc, le montant de la surveillance électronique pourrait dépasser les 100 millions de dirhams par an”, prédit un expert du domaine. Un coût qui reste cependant moins élevé pour le contribuable que celui de l’incarcération.
 
Selon nos informations, des prétendants au marché de la surveillance électronique au Maroc auraient proposé de faire payer au condamné ou au prévenu une partie ou la totalité du coût de la mise sous bracelet, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays. “Cette question doit être tranchée lors de la discussion du texte réglementaire qui précisera les modalités de gestion de la surveillance électronique et les frais pouvant être imposés aux personnes concernées à cet égard”, nous explique le juriste Chakib El Khayari.

 

Soufiane CHAHID



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