Dominique Freymond: L’opposition que rencontre la réforme proposée par la direction générale de l’aéroport et approuvée hier par le conseil d’administration est symbolique des dysfonctionnements de la gouvernance des établissements publics autonomes genevois. Que ce soit les HUG, les SIG, les TPG, l’aéroport, ils sont tous confrontés au même problème. En application de la loi sur l’organisation des institutions de droit public (LOIDP), les établissements publics autonomes ont des conseils d’administration pléthoriques, de 20 à 24 membres, sélectionnés pour des considérations de représentativité, politique en particulier. Et non pour de bonnes raisons, c’est-à-dire de compétences. Ainsi, au lieu d’avoir un nombre restreint d’administrateurs indépendants, composés d’expertises complémentaires, dans des domaines des ressources humaines, de la gestion des risques, des finances, etc., ces établissements sont dirigés par des conseils d’administration de représentation.

Vous évoquez la loi genevoise. Est-elle différente des autres cantons?

Elle est unique en Suisse. Genève est le seul canton où les conseils d’administration d’établissement public autonome recrutent leurs membres en fonction de leur origine et de leur appartenance politique. Une logique paritaire veut que, si les élus cantonaux réclament quatre sièges, ceux des communes du canton en obtiennent autant, les représentants du personnel aussi, etc. Cette construction aboutit à une juxtaposition d’intérêts partisans. Par principe, chaque parti politique genevois est représenté. A contrario, et ce n’est qu’un exemple: une entreprise comme Romande Energie, vaudoise, compte neuf membres. Ce sont tous des professionnels (dont cinq nommés par le Conseil d’Etat) qui apportent leur expertise dans un domaine précis de la stratégie générale de cet établissement public autonome. Ils ne sont pas impliqués dans le prix de l’électricité, ils ne cherchent pas à se faire réélire dans leur siège politique.

Est-ce à dire qu’avec un autre conseil d’administration, la grève aurait pu être évitée?

D’expérience, un conseil de 24 personnes ne peut être efficace. A fortiori, si la plupart de ces membres ont avant tout un agenda politique, il y a fort à parier qu’ils mettront leur intérêt avant celui, supérieur, de l’entreprise. Il ne faut pas oublier que certains élus siégeant au conseil d’administration doivent reverser une partie de leurs honoraires à leur parti. Il est difficile d’affirmer qu’un conseil d’administration composé de professionnels aurait permis d’éviter la grogne que cette mesure a provoquée. Il est en revanche certain qu’ils l’auraient votée.

Pourquoi?

Pour des raisons de bon sens et de bonne gouvernance: l’aéroport de Genève détient une concession de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), renouvelable tous les 25 ans. Ses marges de manœuvre sont limitées, encadrées par les exigences de l’OFAC en termes de trafic aérien (nombre d’atterrissages et de décollages). Comme si les normes cantonales et fédérales n’étaient pas suffisantes, il doit se conformer à celles de l’espace aérien européen. Et redistribuer 50% de ses profits à l’Etat de Genève tout en autofinançant les investissements dans la durabilité. La somme de toutes ces contraintes suppose une gestion d’entreprise détachée de logique partisane. Aujourd’hui, l’aéroport de Genève souffre d’un problème de gouvernance.

Lancez-vous un appel à revoir la loi sur la gouvernance des établissements publics autonomes à Genève?

Genève a raté l’occasion de prendre ce virage quand a été révisée la LOIDP en 2017. Il est grand temps qu’elle le fasse. Il y va de la compétitivité de son aéroport sur la scène internationale, et de la bonne santé de ses établissements publics autonomes. Si Genève se dotait d’une autre loi, de tels problèmes pourraient être évités à l’avenir. Et ce, même si on voit aujourd’hui plusieurs syndicats se battre entre eux – autre particularité genevoise – au détriment des intérêts des entreprises et des collaborateurs qu’ils défendent.



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